L’institution d’un « socle commun de connaissances et de compétences » comme objectif de la période de scolarité obligatoire restera peut-être le point le plus positif (ou le moins négatif ?) de la politique éducative menée durant dix années par la droite. Non que ceux qui l’ont inscrit dans la loi aient été convaincus de son intérêt : les déclarations aveuglément idéologiques des François Fillon, Nicolas Sarkozy ou Luc Chatel contre le « pédagogisme » et le « refus de l’effort » qui seraient la source de tous nos maux montrent plutôt qu’ils n’en avaient pas saisi toute la portée. Impression confirmée par le pilotage de la mise en œuvre de ce socle depuis 2005. Les rares fois où il a été explicitement invoqué, c’est pour justifier une évaluationnite qui oblige les enseignants à passer de longues heures à remplir des grilles critériées dont le détail a perdu tout sens. Restaurer l’esprit du socle commun, travailler à son appropriation par les acteurs de terrain sera une mission prioritaire du futur ministre de l’Education.
Affirmons au préalable qu’en tant qu’outil de la scolarité obligatoire, le socle commun de connaissances et de compétences est un engagement que la nation prend envers tous ses enfants. De six à seize ans, les jeunes doivent vivre une expérience commune visant à la construction d’une culture partagée appuyée sur un socle de compétences et de connaissances. Cette période de la scolarité doit donc être exempte de toute sélection. Je défends en conséquence le projet d’une école fondamentale qui, de six à seize ans, scolarise tous les enfants sans redoublement ni orientation, comme cela se pratique déjà dans plusieurs pays, dont ceux qui obtiennent les meilleurs résultats dans les évaluations internationales. Le socle ne doit donc pas être, en tout état de cause, un prétexte pour organiser une sélection, un « dépistage » ou une « catégorisation » des élèves, comme les actuels gouvernants ont pu le croire. Il s’agit d’un levier pour les apprentissages, pas d’un obstacle de plus.
Décidons ensuite ensemble que le socle est un référentiel et non un programme. Intégrer l’esprit du socle, c’est considérer que les efforts des équipes pédagogiques doivent porter davantage sur la recherche des meilleurs moyens de réaliser ces finalités pour chaque élève que sur la garantie à tous les élèves du même nombre d’heures de cours de chaque discipline et sur le « bouclage » de programmes annuels définis dans leurs moindres détails. Cela implique que les programmes, dorénavant, soient définis en termes d’objectifs transdisciplinaires de cycles pluriannuels. Dans l’esprit du socle, ce doit être à la communauté éducative de fixer, à travers le projet de chaque établissement, les horaires, les modes de regroupement d’élèves et les contenus disciplinaires les mieux adaptées aux réalités locales et aux priorités de l’établissement pour atteindre ces objectifs. Il faut promouvoir le modèle d’une équipe d’enseignants qui prendraient en charge un groupe d’une centaine d’élèves pour mettre en place, avec eux, les conditions d’apprentissage les plus efficaces. Leur autonomie doit être importante : il doit notamment être possible qu’une part importante de l’enseignement dispensé dans un établissement, en fonction de sa région d’appartenance ou du public qui y est scolarisé, ait lieu dans une langue régionale ou dans la langue d’origine de certains élèves. Le socle fournit une occasion de réaffirmer un principe républicain fort : la définition des objectifs et des finalités appartient à l’Etat ; celle des moyens de les atteindre est de la responsabilité des acteurs de terrain. La subsidiarité, trop souvent mise à mal dans un système scolaire plus attentif à l’application des directives qu’à l’effectivité des apprentissages, est une implication trop souvent oubliée du socle commun.
Il reste que, si le principe du socle doit être un appui pour une nouvelle politique éducative, son contenu a grand besoin d’être révisé. Si le Socle est un moyen de revenir aux « fondamentaux », ce n’est pas pour réduire l’éducation scolaire au « lire, écrire, compter », mais pour construire l’autonomie, la solidarité et la responsabilité. Le scandale qu’a représenté, dès sa première mouture, la note de vie scolaire et l’abandon des savoirs du corps, est connu. Mais j’entends aussi dénoncer l’absence des savoirs manuels et professionnels : la « revalorisation de la voie technologique et professionnelle », incantation rhétorique des discours ministériels, ne sera possible que si tous les jeunes, au cours de leur scolarité obligatoire, ont eu l’occasion de développer significativement leurs compétences manuelles et d’avoir un véritable contact avec le monde professionnel. L’orientation éventuelle, après seize ans, vers une formation professionnelle, doit se faire en toute connaissance de cause, comme se fait le choix d’études générales. Je veux par ailleurs qu’on s’interroge sur la dimension culturelle de l’apprentissage des langues. Qu’on s’en félicite ou qu’on le déplore, l’anglais de communication internationale est devenu un apprentissage obligé. La limitation du socle à « la pratique d’une langue vivante étrangère » est de ce point de vue fort hypocrite, car elle contribue indirectement à la prééminence de la langue anglaise, les autres cultures étant réservées à une élite faisant la démarche d’étudier plusieurs langues. Osons affirmer deux objectifs forts : à l’issue de la période d’instruction obligatoire, chaque jeune doit maîtriser l’anglais de communication internationale, avoir bénéficié d’une initiation à l’esperanto et avoir découvert plusieurs langues dans leur dimension culturelle plus que comme moyen de communication. Parmi ces langues, l’anglais et les langues régionales peuvent évidemment trouver leur place. L’autonomie et l’initiative, enfin, invoquées dans le pilier 7, n’insistent pas assez sur la nécessité d’« apprendre à apprendre », considérée comme une « compétence-clé » par le Conseil de l’Europe et l’Union européenne.