Eva Joly à Grenoble : « Je veux dire ce soir l’amour que j’ai pour les territoires de France »

Chers amis,

Je veux vous parler ce soir de l’écologie, et de la France.

La campagne du premier tour touche à sa fin. Je suis venue vous dire ce soir de ne pas perdre espoir. Même si les temps sont durs pour le pays, et durs pour les écologistes.

Chacun veut décrire ma campagne comme un calvaire. On a même parlé de chemin de croix. Je ne dis pas qu’elle n’est pas difficile. Mais c’est quand les choses sont difficiles que nous devons nous battre sans baisser les bras. J’ai coutume de le dire, c’est la nuit qu’il fait beau croire à la lumière. Et voyez vous, malgré toute les difficultés, je suis sereine.

Je suis fière d’être votre candidate.

L’histoire dira qui avait raison de ceux qui voulaient sortir du nucléaire ou de ceux qui glorifiaient l’atome français. L’histoire dira qui avait raison de lutter contre le réchauffement climatique ou de continuer à se voiler la face. L’histoire dira qui voulait débarasser l’agriculture des pesticides ou qui préférait produire toujours plus et toujours plus mal.

Ceux qui, avec beaucoup de morgue, nous donnent tort aujourd’hui, ne peuvent le faire que parce qu’ils tiennent tous les leviers du pouvoir. Le sentiment de leur propre importance passe avant la défense de l’intérêt général. Leur pensée n’a plus le gout de la liberté, plus le courage de l’invention, plus l’audace de la lucidité. Leurs yeux ne voient plus que leur reflet satisfait dans le miroir, ignorant l’état du monde. Leur bouches ne s’ouvrent que pour déverser en boucle le même discours de renoncement, paré des atours trompeurs du réalisme économique.

Ils sont confits de certitudes et ne voient pas leur monde s’écrouler. Ils ne savent pas que l’écologie est une sagesse, une morale en actes, une volonté d’harmonie, un espoir d’avenir fondé sur l’équilibre et la modération. L’écologie c’est la défense continue de l’intérêt général contre la logique du profit à courte vue. L’écologie c’est la priorité donnée au vivant. Si la société de consommation vous promet le pouvoir d’achat, que d’ailleurs elle ne vous donne pas, la société écologique, elle, vous redonne le pouvoir de vivre.

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On me reproche mon manque de charisme, et mon peu de gôut pour les effets de tribune. Je ne crois pas que la politique doive d’abord s’adresser aux tripes. Parce que la crise que nous traversons est telle que nous avons d’abord besoin d’un sursaut de l’intelligence.

Je pensais, et je le pense toujours que la politique à besoin de vérité. Alors tout au long de cette campagne, j’ai essayé de dire le monde tel qu’il est, dans sa complexité et ses contradictions.

Nous devons faire comprendre de quels grand changements la planète a besoin. Si je joue les troubles-fêtes, c’est que la fête est finie : nous ne pouvons plus gaspiller les ressources, nous ne pouvons plus continuer à produire plus sans chercher à produire mieux, nous ne pouvons plus créer des problèmes écologiques sans savoir comment les résoudre, aux dépends des écosystèmes.
Si je ne parviens pas à convaincre immédiatement, je cherche à ensemencer les consciences. Le temps court d’une élection ne sert pas forcément le temps long de l’enracinement des idées. Mais il faut bien commencer quelque part. Et j’ai la conviction que le temps de l’écologie n’est plus si lointain.

Oui, nous sommes le mouvement de la rupture avec la destruction de la planète et l’asservissement des êtres humains. Oui un jour viendra, et plus vite qu’on ne le pense, où l’écologie se fera définitivement sa place dans les idées qui mettent en mouvement l’humanité toute entière. Un jour viendra où on se demandera pourquoi les principaux dirigeants du pays ont préféré, persister dans la folie nucléaire plutôt que de chercher à utiliser les énergies renouvelables. Un jour viendra où nous serons majoritaires : et même si la route est semée d’embuches je vous promets de vous accompagner sur ce chemin.
Je travaille pour que la génération Duflot accède au pouvoir : c’est à la nouvelle génération de secouer les chaînes du vieux monde pour qu’enfin les choses changent vraiment. Demain les écologistes seront une force avec qui compter. Accordez moi votre vote, donnez moi votre confiance, insufflez moi votre énergie pour créer les conditions du vrai changement.
La crise écologique demande que nous inventions les bases d’une nouvelle société. Voilà en réalité l’enjeu de cette élection présidentielle. Mais de tout ceci, vous ne trouverez trace dans aucun édito, dans aucune chronique.

Cela ne m’étonne pas. Je n’attendais pas d’approbation de la part de ceux qui doivent leur carrière à leur soumission, leur statut à leur obéissance et leur confort à leur docilité. Je n’attendais pas d’acclamation de la part de ceux qui ont dressé une statue à Nicolas Sarkozy avant d’encenser puis de jeter au bûcher Dominique Strauss-Kahn.

Je n’attendais pas d’encouragement venant des éternelles girouettes qui suivent les modes pour mieux sembler les faire, qui moquent les naifs et vantent les cyniques. Je sais bien que je les dérange. Je le vois bien à leur manière de s’adresser à moi, guettant chacune de mes erreurs, espérant que chaque faux pas me sera fatal.

Il est vrai que je peux être maladroite. Mais si je peux parfois chuter, j’ai appris à me relever.
Je ne dépends d’aucun lobbie, ne cotise à aucune confrérie, n’appartiens à aucun club dont l’objet serait de cultiver la satisfaction de l’entre-soi. Peu m’importent les honneurs, c’est la justice que je recherche. Le sentiment du devoir accompli est la plus belle des décorations. Je suis juste une femme libre au service de mon pays.

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Mon pays justement. Ce soir, je veux vous parler aussi de la France. Vous parler de notre France.

Ici même, à Grenoble, il y a bientôt deux ans, Nicolas Sarkozy a prononcé un discours qui déshonore la République. Un discours qui a donné une image désastreuse de la France, un discours qui a blessé vivement et profondément l’idée que des millions de françaises et de français se font de notre pays. En stigmatisant les Roms, et au delà l’immigration, Nicolas Sarkozy a mis dans sa bouche les mots des pires populistes.

Même à deux années d’intervalle, je veux ce soir lui répondre.

Qu’est-ce que la France ? Chacun à sa réponse à la question.

La France c’est le pays que j’ai choisi, aimé et servi toute ma vie.

La France, pour moi, c’est une idée magnifique, dans une géographie sublime.

L’idée magnifique d’abord. C’est celle de la nation citoyenne.

Nous sommes une nation citoyenne, c’est-à-dire une nation d’individus librement assemblés autour d’un projet commun que nous appelons République et dont la pierre de touche est l’égalité, dont l’outil d’émancipation est la liberté de chacun et dont l’horizon est fixé par l’idéal de fraternité entre tous.
L’égalité c’est la pierre de voûte de l’édifice républicain. L’égalité forme avec ses inséparables sœurs jumelles, la liberté et la fraternité, la plus belle devise du monde pour le plus beau pays du monde. L’égalité, c’est la fontaine de jouvence de la démocratie, celle qui permet de maintenir éternellement jeune et rebelle la promesse républicaine.
Et par temps de crise, davantage encore, l’égalité n’est pas seulement une boussole qui indique le chemin à suivre. Elle est le chemin lui même ! Peu importent nos origines, l’essentiel est de vouloir porter ce magnifique projet.

Celui d’une nation fondée non pas sur la fiction de la race, non pas sur le mythe d’un sang commun qui coulerait dans nos veines, mais sur l’idée que les hommes et les femmes naissent et demeurent libres et égaux en droit. Une nation fondée sur l’idée que, peut importe d’ou on vient ; pourvu que nous chérissions pareillement la fraternité et la liberté.

On a parlé de mon accent. Mais la France en a mille. Chaque accent a son histoire, individuelle ou collective, chaque inflexion de la langue française raconte une part de l’histoire du peuplement de notre pays, chaque langue régionale dit assez quelle multiplicité et quelle diversité ont convergé pour construire notre nation.
Notre France, c’est une France dont l’identité ne souffre pas de l’ouverture, puisque son identité c’est l’ouverture, le mouvement vers les autres, la quête de l’universalité, non pas l’exotisme et le relativisme, mais la curiosité vraie et le dialogue des cultures.
Notre France ne récuse pas ceux qui ont quitté leur pays pour la rejoindre pour des raisons politiques ou économiques, parce notre France se bat pour changer l’ordre du monde et accompagner la longue marche de l’humanité vers l’émancipation des individus.

Notre France a tiré toutes les leçons de l’esclavage et du colonialisme : elle sait que les races n’existent pas, que la prétendue supériorité de l’homme blanc est une folie et que défendre, comme monsieur Guéant, l’idée d’une civilisation supérieure est un crime contre l’esprit, une faute morale, une impasse politique, et au final, une menace pour notre civilisation.

N’en déplaise à Madame Le Pen, la chatelaine héritère du parti de la haine, l’identité de la France, ce n’est pas une couleur de peau, ce n’est pas une origine, ce n’est pas une religion. L’identité de la France, c’est la République.

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Et la nouvelle frontière de la république, c’est l’écologie : le droit pour tous d’avoir un environnement sain, c’est-à-dire la liberté, l’égalité et la fraternité dans une planète préservée.

Je me bats donc pour une république écologique : une république ou l’intérêt général compte davantage que les profits privés, une république où les droits des générations futures sont défendus avec vigueur, une république où la responsabilité est érigée en principe moteur de l’action publique.

Je veux donc inscrire le droit à un environnement sain et protégé, dans la constitution de notre république.

Je défends également, vous le savez une république exemplaire. En le faisant, c’est la France elle-même que je défends. L’impunité des puissants n’est pas seulement une injustice, elle est un défi jeté au visage du pays tout entier, une trahison de notre histoire et de nos valeurs.

L’impunité, c’est le retour en arrière, vers un ordre de castes et de privilèges que la révolution française est censée avoir aboli. Au fond, de ce point de vue, le sarkozysme n’a pas été seulement une régression : c’est bien une véritable contre-révolution qui s’est déroulée sous nos yeux pendant cinq années.

Notre pays doit retrouver l’esprit des Lumières.

Je ne supporte pas l’idée qu’il y aurait en France des droits à géométrie variable : je veux lutter contre la justice à deux vitesses en donnant enfin à la justice les moyens de faire son travail, en garantissant l’indépendance du parquet, en cessant d’encombrer les prisons pour des délits mineurs et en faisant en sorte que la condition carcérale soit digne d’un pays démocratique.

Même en prison, on reste un être humain. Se battre pour la condition des prisonniers, c’est se battre pour l’efficacité de la sanction, pour que la peine prononcée par un juge ait un sens, et que la réinsertion dans la société soit rendue possible.

Voilà ce que ne vous dira jamais monsieur Sarkozy qui s’agite sur les questions de lutte contre la délinquance mais a empiré la situation dans nos prisons en les transformant en véritables cocottes-minute.

Je veux rendre hommage ce soir au personnel de l’administration pénitentiaire qui gère l’ingérable. Si j’ai quelque influence sur la future majorité, croyez-moi, je vous le jure, j’agirai pour que notre système judiciaire et notre système carcéral retrouvent les moyens d’accomplir leur mission.

A la question « c’est quoi la France », je réponds : « c’est la passion de l’égalité ». C’est pourquoi je me sens tellement française, parce que toute ma vie j’ai poursuivi cet idéal d’égalité et de justice. Alors je ne supporte pas de voir la France défigurée par la haine de l’autre, la France amoindrie par le manque d’ambition universaliste, la France amputée par le repli chauvin, alors que la France est grande quand elle parle pour tous les opprimés de la terre et qu’elle éclaire les peuples en lutte pour leur liberté.

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Je le répète la France est une idée magnifique.

Mais la France ne se résume pas à une idée, aussi belle soit elle. La France est aussi et d’abord une réalité physique.

C’est une géographie sublime.

Moi qui chérit la nature depuis ma plus tendre enfance, je veux dire aussi ce soir l’amour que j’ai pour les territoires de France et leurs incroyables contrastes qui en font la chatoyante beauté. Et si aimer la France, c’était d’abord protéger les cours d’eaux de la pollution, préserver la biodiversité de la destruction, empêcher le bétonnage d’un littoral précieux, contester le tracé d’une autoroute qui défigure une vallée, toutes choses que les écologistes font depuis des années ?

Quand on aime la France, on ne la saccage pas, on la préserve on ne la pille pas, on la protège, on ne l’abime pas, on la conserve. Voilà pourquoi, l’écologie c’est le vrai parti de la France : celui qui défend au quotidien nos ressources naturelles, nos terroirs et notre patrimoine paysager que le monde entier nous envie.

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Dans les jours qui viennent, je vous demande de m’aider à tout faire pour que l’écologie réussisse le meilleur score possible.

Je veux bousculer les habitudes du monde politique. Oui je veux que Nicolas Sarkozy soit battu, et que la majorité change mais je veux aussi un vrai changement pour mon pays.

Pour cette raison, je veux éviter les deux maladies qui on fait tant de mal à nos idéaux lorsque la gauche était en responsabilités. La maladie de la gauche molle, et le syndrome de la gauche folle.

La gauche molle a, quand elle a gouverné, cherché le chemin du consensus mais trouvé celui du renoncement. En voulant être raisonnable elle est devenue conservatrice. Elle a attendu que les marchés lui donnent quitus de ses efforts pour devenir gestionnaire, et au final c’est le peuple qu’elle a perdu, à force de tant de génuflexions devant les forces qu’elle était censée combattre.

La gauche folle, elle, s’emballe dans l’opposition. Elle fait des grands discours et des belles promesses. Elle agite des drapeaux et convoque la mémoire des révolutions. Elle lève des espoirs immenses qui finissent en cendres et dégénèrent en frustrations inconsolables.

Alors, si demain une nouvelle majorité remporte les élections, elle devra naviguer entre ces deux écueils pour éviter de faire naufrage.
Quand on aborde la saison des tempêtes, peu importe le capitaine : le problème c’est de fixer le cap et d’avoir une bonne boussole. Le cap c’est la transformation de nos sociétés pour sortir de la crise. La boussole c’est l’écologie, qui à chaque instant nous indique le chemin à suivre pour défendre le développement humain et protéger la planète.

Voilà de quoi je veux débattre avec mes partenaires.

J’entends que Jean-Luc Mélenchon, à ma suite, propose une règle écologique. Très bien. Je lui dis encore un effort : Jean-Luc, demande la sortie du nucléaire, et oppose toi à la construction de l’aéroport de Notre-Dame des Landes. Ta planification écologique sera plus crédible et le vrai changement sera en marche.

J’entends que François Hollande se réveille aussi à l’écologie. Je lui dis bienvenu. Mais François, suit la boussole de l’écologie et suit la réellement : mets le cap sur les énergies renouvelables, le développement d’une agriculture sans pesticides, en refusant dès aujourd’hui l’épandage des pesticides et la lutte contre le réchauffement climatique.

Tu as une occasion unique de rentrer dans l’histoire comme le président de la transition écologique. Mets le cap sur le courage et la volonté et finissons en avec un vision obsolète du monde qui croit que l’écologie ce n’est qu’un supplément d’âme quand l’écologie est le vrai changement du siècle qui vient.
A vous tous qui êtes ici ce soir, je veux dire en définitive ceci : aidez-moi dépasser la maladie de la gauche molle et le syndrome de la gauche folle, aidez-moi à installer l’écologie au cœur des politiques publiques pour les cinq ans à venir, aidez-moi à renverser la donne, aidez-moi à donner à l’écologie la place qu’elle mérite, aidez-moi à construire une République écologique, aidez-moi à reconstruire une France ouverte, riche de sa diversité et de ses valeurs, aidez-moi dans mon combat contre la corruption et l’impunité, aidez-moi à faire mentir les sondages, aidez-moi à faire du 22 avril une surprise pour tous ceux qui veulent le vrai changement.

Ne laissez pas tout le pouvoir aux forces du passé. L’avenir est entre vos mains.

Vive l’écologie, vive la République, vive la France

Eva Joly, candidate écologiste à l’élection présidentielle