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Michel Denisot : Tout de suite, celle dont on a cru qu’elle allait renoncer. Une semaine après la crise, elle reprend la parole au Grand Journal : Eva Joly. Merci d’être là. On va écouter tout de suite François Bayrou qui a officialisé sans candidature, ce qui n’était pas vraiment une surprise. Il a dit une chose, sur laquelle j’aimerais entendre votre réaction.
François Bayrou : « J’ai évoqué la nécessité d’un esprit d’union nationale. Il est inéluctable que, pour redresser la France, se forme, ouverte à tous les réformistes d’où qu’ils viennent, une majorité du courage. »
MD : Que répondez-vous à cet appel à une union nationale des républicains ?
C’est vrai que François Bayrou est un homme de constance et de courage. Il a raison quand il dit que les problèmes que nous devons affronter sont graves, et que réunir nos forces à la fin est une nécessité.
MD : À la fin, mais pas au début ?
D’abord, il y a la campagne présidentielle, il y a le premier tour avant le second.
MD : Pourriez-vous cohabiter avec lui dans un même gouvernement ?
Je vous dis ce que j’en pense : c’est un Européen convaincu, et c’est un homme politique courageux à mon sens.
Ariane Massenet : Quelles convictions partagez-vous avec lui ?
Nous partageons une même vision de l’Europe, c’est-à-dire que l’avenir de la France est dans l’Europe, et dans une Europe fédérale, où il y a une vraie politique fiscale commune, de protection des Européens, une protection écologique et sociale, de respect des conditions syndicales par exemple. Je pense que nous partageons cela. Et j’ai aussi beaucoup apprécié le combat de François Bayrou pour une république plus exemplaire.
MD : Pour être clairs, est-ce que vous accepteriez de cohabiter avec lui dans un gouvernement ?
La question ne se pose pas. Je vous dis seulement que c’est un homme politique tout à fait estimable.
MD : On peut donc considérez que vous dites oui.
Jean-Michel Aphatie : De droite ou pas François Bayrou ?
C’est un homme du centre, et je pense qu’avec ses différentes positions, il est plutôt à droite.
MD : Vous êtes une femme de conviction, une femme libre, et quand on voit les sondages, on se dit que ça ne paye pas en politique. Comment réagissez-vous à ces sondages, et comment considérez-vous que vous allez remonter la pente ?
Il y a dans la même semaine deux autres sondages qui me mettent à six pourcents.
MD : Effectivement, entre trois et six. C’est la fourchette des candidats écologistes quand on regarde les élections précédentes.
Il n’y a rien de vraiment étonnant. Ce n’est pas une surprise que les écologistes ne soient pas majoritaires dans le pays, malgré la qualité de nos idées, et le fait qu’à terme nous allons devenir majoritaires.
AM : Mais est-ce qu’on peut être une candidate libre quand on fait de la politique et qu’on représente un parti ?
Je pense qu’il y a une grande aspiration à une parole authentique, et à plus de sincérité.
AM : Mais quand on est authentique, on peut se prendre des coups aussi. C’est un peu ce qui s’est passé avec l’accord entre le PS et les Verts.
Dans tous les challenges que j’ai eu à affronter dans ma vie, je ne les ai jamais fait le nez dans les sondages. Lorsque j’intruisais l’affaire Elf, je ne me suis pas demandé si ça allait plaire ou pas. Je pense que j’ai des idées à porter, des convictions à partager, et c’est ce que je vais faire le mieux possible dans cette campagne.
MD : Dans « Le Point » qui sort demain, vous répondez à un papier de Patrick Besson qui concernait votre accent. Il avait fait un papier intitulé « Eva Joly, présidente de la République », et tout le papier imitait un discours avec un accent. Vous répondez aujourd’hui, Franz-Olivier Giesbert répond que c’est de l’humour, Besson répond sur d’autres accents, etc. Les humoristes le font tous les jours. Pourquoi les uns peuvent-ils le faire, et les autres pas ?
Parce qu’il y a une grande différence à mon sens avec les humoristes dont faire rire est le métier. Lorsque Patrick Besson, comme éditorialiste, fait ce papier, je le vis comme du mépris social. Ce papier m’a atteinte, parce qu’il utilise l’humour comme une arme, et l’arme c’est le mépris. C’est vouloir décider qui a le droit de concourir à la présidence de la République, et qui n’a pas le droit. C’est donc Patrick Besson qui pense qu’un accent est exclusif avec la plus haute fonction.
Quand les humoristes le font, c’est une toute autre chose. On peut rire de tout. Je n’ai rien fait d’autre que de répondre dans l’espace public à son humour, et c’est aussi mon droit. Je pense que nous sommes nombreux à vivre ce mépris social, à ne pas être « bien nés », à ne pas avoir fait exactement les bonnes écoles, et du coup ne pas avoir accès aux cercles qui sont reservés aux mâles dominants de plus de cinquante ans. On n’est « pas à sa place ». Le choix de la photo non plus n’est pas innocent : je suis à la Réunion, avec des femmes chiffonnières qui m’ont fait un chapeau, et cette photo est mise hors circonstance ; c’est clairement fait pour rire.
Ce papier dit : « vous n’êtes pas digne d’être là, vous, parce que vous n’êtes pas née ici ». Je suis pour une France cosmopolite. La France dont rêve Besson, elle n’existe plus. La France d’aujourd’hui est colorée et cosmopolite. Nous devons vivre avec la volonté de construire l’avenir avec les habitants de ce pays, les Français, et non pas les distinguer selon le nombre de générations, ou la quantité de terre sous les semelles.
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MD : Y a-t-il eu des « négocations d’épicier » entre le PS et EELV ?
Ce sont des questions de parti.
JMA : Oui, mais vous êtes candidate d’un parti, soutenue par un parti.
Oui, bien sûr.
Est-ce que le fait d’avoir eu dans votre bureau des politiques, en tant que juge d’instruction, est-ce que cela vous donne envie de passer de l’autre côté ?
J’ai vraiment envie de porter les idées écologistes, et ce n’est pas simplement la sortie du nucléaire, c’est aussi les différentes façons de sortir de la crise sociale dans laquelle le pays se trouve, la transition énergétique, la biodiversité, ce sont des idées très importantes que j’entends porter dans cette campagne.
MD : Est-ce que vous êtes libre aujourd’hui, ou encadrée ?
Je suis une femme libre…
AM : …mais encadrée !
J’ai un staff de campagne, une ruche, ils sont quatre-vingt-cinq, et je m’en porte très bien.
AM : La ruche, c’est le nom que vous avez donné à votre équipe de campagne. Il y a plusieurs types d’abeilles : les abeilles solitaires, les domestiques, les sauvages, les sociales. De quel type êtes-vous ? Il y a les abeilles tueuses, aussi.
J’ai une ruche qui produit du miel, et je suis la reine dans cette ruche.
MD : Et aujourd’hui vous acceptez tous les arrangements qu’il y a eu, et que vous avez eu du mal à accepter.
J’ai protesté contre l’intervention d’une multinationale dans cet accord ; c’est maintenant de l’histoire ancienne. Il faut aussi voir que cet accord a des aspects complètement historiques : la fermeture de vingt-quatre réacteurs, ce n’est pas rien, c’est important. Aussi, le fait pour EELV d’avoir des circonscriptions dans l’élection parlementaire est important ; cela permet de remédier à un scrutin qui punit trop les petits partis, car c’est un système totalement bipartite.
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MD : Le droit de vote des étrangers aux élections locales, vous êtes pour ?
Je suis pour, et c’est une proposition qui a été déposée par les Verts à l’époque, et que nous portons depuis toujours. La France est retardataire. Dans l’Union européenne, la plupart des pays ont accepté de donner le droit de vote aux élections locales aux personnes extra-communautaire. C’est aussi une recommandation du Conseil de l’Europe et de ses quarante membres. C’est donc aussi en vertu des conventions internationales que nous avons signées, que nous devons le faire.
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MD : Quel est votre point de vue sur la manifestation contre la venue de Marine Le Pen à l’université Dauphine ?
Je dois dire que je comprends la colère des étudiants, mais je suis en désaccord sur les méthodes. Les idées du Front national doivent être combattues dans l’espace public, dans le débat, argument après argument, il faut les démonter.
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MD : (suite aux arrestations de manifestants en Russie) Si vous êtes présidente de la République, vous coupez les ponts avec la Russie ?
Comme le dit monsieur Aphatie, la Russie est un acteur très important sur la scène internationale, donc je le recevrais, je ne couperais pas les ponts de façon sèche. Mais je n’escamoterais pas les problèmes de droits de l’Homme. J’ai fait un communiqué de presse aujourd’hui, pour demander la libération immédiate de toutes les personnes qui ont été arrêtées. Ils ont aussi bloqué les réseaux sociaux, ils ont fait taire les sites citoyens, et c’est aussi pour cela qu’il y a eu ce mouvement de protestation très surprenant, et plein d’espoir.
AM : Un peu de gaieté : que s’est-il passé il y a deux jours Eva Joly ? …votre anniversaire ! Cécile Duflot vous a-t-elle offert un cadeau ?
J’ai eu un cadeau collectif de mon équipe de campagne.
AM : Tous comptes faits, est-ce qu’être la candidate d’EELV à la présidentielle a été un cadeau ?
Oui, c’est un grand cadeau.
AM : Un tête-à-tête avec Nicolas Hulot, c’est un cadeau ou pas ?
C’est un cadeau.
AM : L’accord PS-EELV, c’était un cadeau empoisonné ?
C’est un cadeau.
AM : Est-ce que finalement, François Hollande est le plus beau cadeau que le PS ait pu vous offrir ?
En tout cas ensemble, nous allons gagner ces élections, et nous allons chasser de l’Elysée Nicolas Sarkozy.
AM : Cette photo où vous êtes deuxième de Miss Norvège, est-ce que c’est un cadeau ?
C’est un souvenir ému du temps qui passe.
AM : En tant que juge d’instruction, l’accusé de rêve pour vous, ce serait Dominique Strauss-Kahn, Dominique de Villepin, ou Jacques Chirac ?
Je ne peux pas choisir. Les trois me vont.
AM : Puisque c’est votre anniversaire, quelle célébrité aimeriez-vous voir sortir d’un gâteau en tenue plutôt légère ? J’ai trois propositions : George Clooney, Jean-Vincent Placé, ou Harald V, roi de Norvège ?
Je vais prendre Clooney ! Je rencontre Harald V ce week-end, à l’occasion de la remise du prix Nobel.