Tribune publiée sur Rue89
La menace environnementale et sanitaire que représente l’exploitation des gaz et huiles de schiste dans notre pays a mené à une mobilisation citoyenne sans précédent. La loi du 13 Juillet 2011- sensible à cette inquiétude – a interdit en France l’emploi de la fracturation hydraulique, jugée trop polluante pour l’eau. Une décision purement politicienne de l’UMP qui tenta de couper l’herbe sous le pied des élus socialistes et écologistes, à l’approche des élections sénatoriales mais aussi présidentielles.
Cependant, une dérogation permet toujours aux industriels, sous couvert de recherche scientifique, d’injecter à haute pression et en très grande profondeur des milliers de mètres cubes d’eau et de produits chimiques cancérigènes et reprotoxiques pour récupérer ces ressources non conventionnelles. L’adoption de cette loi n’a donc été qu’une victoire temporaire. Personne n’était dupe même si l’on pouvait se réjouir d’un sursis dans la course aux dernières gouttes d’énergies fossiles.
Profitant de cette brèche, le Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies conjointement avec le Conseil général de l’environnement et du développement durable, a publié hier 22 mars un rapport sur « Les hydrocarbures de roche-mère ».
Ainsi, ce rapport donne le feu vert aux industriels titulaires de permis de recherche d’hydrocarbures de faire des « explorations scientifiques », et contient un calendrier précis des étapes à suivre, avec notamment, dès septembre 2012, l’évaluation du gisement en France avec carottages classiques, en particulier en Ile de France.
Il semble donc que les catastrophes écologiques et sanitaires provoquées par ces ressources fossiles en Amérique du nord n’ont pas été assez convaincantes pour opposer le principe de précaution à ces travaux de recherche. Une perte de temps et d’argent bien navrante.
En lisant en détail ce rapport, on reste frappé par la fatalité que l’on souhaite nous faire accepter. Surtout en lisant l’extrait suivant (page 73) : « Il serait dommageable, pour l’économie nationale et pour l’emploi, que notre pays aille jusqu’à s’interdire, sans pour autant préjuger des suites qu’il entend y donner, de disposer d’une évaluation approfondie de la richesse potentielle : accepter de rester dans l’ignorance d’un éventuel potentiel ne serait cohérent ni avec les objectifs de la loi POPE, ni avec le principe de précaution. Mais, pour ce faire, il est indispensable de réaliser des travaux de recherche et des tests d’exploration. »
Bref, laissez-nous faire notre travail tranquille et le temps passant on arrivera bien à vous faire avaler la pilule, bande d’écolos irresponsables. Inconcevable ! Tellement inconcevable qu’il faut forcément se donner les moyens de ses ambitions.
C’est pourquoi cette mission interministérielle, sous couvert du pluralisme de ses membres, cherche clairement à développer l’acceptabilité sociale des gaz et huiles de schiste. Plus clairement, cette mission visera donc à minimiser les risques environnementaux et mettre en avant les bonnes pratiques développées par les industriels. Le lobby industriel pouvait difficilement espérer mieux en l’état actuel du dossier.
Dans le même souci de légitimation, la Commission nationale d’orientation qui vient d’être créée accueillera donc trois représentants d’associations agréées pour la protection de l’environnement. Face à ces trois garants des intérêts publics, les industriels conservent la part belle, avec six représentants (dont trois représentant le personnel des dites industries). Par ailleurs, trois personnalités qualifiées au vu de leurs compétences scientifiques seront également de la partie, et bien évidemment ils seront nommés par le Ministre de l’Industrie et non conjointement avec celui de l’Environnement. Un équilibre des forces bien précaire au sein d’une Commission censée être représentative des intérêts français, et non des intérêts du lobby industriel qui tente de nous imposer des choix énergétiques insoutenables.
Ce déséquilibre est par ailleurs renforcé par un mépris démocratique à mon goût. Les collectifs de citoyens qui se sont créés, qui ont interpellé leurs élus et qui ont réussi à lutter contre l’opacité des décisions prises au plus haut niveau, n’ont-ils pas toute légitimité à siéger dans cette Commission dont ils sont finalement à l’origine ? Sans eux, rien n’aurait bougé, il est donc consternant de ne pas les associer.
Bref, la mascarade continue alors que les masques sont pourtant tombés. Je ne reviendrai pas sur les rapports scientifiques accablant cette énergie du désespoir que sont les gaz de schiste, et notamment ceux de l’Agence américaine de l’environnement. Je ne reviendrai pas non plus, sur les trois permis abrogés alors que des dizaines restent d’actualité. Plus personne n’est dupe, nous ne sacrifierons pas notre pays et la santé de nos enfants pour une énergie rétrograde.
On nous avance que nous avons des ressources énergétiques potentielles sous nos pieds et qu’il serait stupide de ne pas en profiter, ce à quoi je rétorque que nous avons des ressources infinies au-dessus de nos têtes (le vent et le soleil), sous nos yeux (biomasse), dans nos océans (énergie marémotrice) et sous nos pieds aussi (géothermie). Mais le lobby industriel et ses actionnaires cupides n’ont que faire de ces enjeux d’avenir : ils recherchent la rentabilité immédiate.
Nous autres écologistes nous opposerons au gaspillage et à la pollution de notre eau. Les sources d’énergie sont substituables les unes aux autres, l’eau non : nous ne pouvons nous aventurer dans une telle impasse. Notre mix énergétique est un choix politique auquel doivent être associés les citoyens et en aucun cas le lobby des énergies fossiles et nucléaires ne doit nous imposer ses stratégies économiques.
Nous continuerons à lutter contre ces choix qu’on nous impose et d’ailleurs je vous invite à vous mobiliser et venir les 6 et 7 avril à la Seyne sur Mer, pour manifester contre le permis Rhône Méditerranée qui prévoit des forages pétroliers en grande profondeur.
Michèle Rivasi, Porte-parole d’Eva Joly