Réformer l’Ecole, repenser l’éducation

A l’occasion de chaque échéance électorale importante, on annonce à l’avance que l’éducation en sera l’un des thèmes majeurs. La déception est, en général, à la hauteur des espérances. Mais, en 2012, il semble, fort heureusement, qu’il n’en sera pas ainsi ! Et nous le devons, paradoxalement, à Nicolas Sarkozy : sa politique scolaire fut, en effet, tellement catastrophique qu’on peut parler aujourd’hui d’une école en totale dépression. Depuis cinq ans, les décisions brutales se sont succédées à grande vitesse : abolition des programmes du primaire de 2002, pourtant largement consensuels, au profit des programmes bâclés et rétrogrades de 2008 ; « assouplissement » de la carte scolaire et ghettoïsation des établissements les plus en difficulté ; mise en place démagogique de la semaine de quatre jours ; démantèlement des réseaux d’aide aux élèves en difficulté (RASED) ; abandon progressif de la politique des Zones d’éducation prioritaire ; orientation prématurée en collège et totémisation de l’apprentissage au détriment des lycées professionnels ; caporalisation de l’Education nationale et pilotage technocratique « par les résultats » ; mise en concurrence des personnes et des établissements ; disparition catastrophique de la formation pédagogique des enseignants, tant dans la formation initiale, aujourd’hui défigurée, que dans la formation continue, totalement sinistrée ; et, bien évidemment, suppression de postes qui rendent l’institution exsangue.

Dans ces conditions, il est normal que tous les candidats progressistes affichent leur volonté d’une rupture radicale avec ces orientations. L’Education nationale a besoin de retrouver confiance en elle en retrouvant le soutien de la nation. C’est là, effectivement, un préalable indispensable ! Pour autant, il ne faudrait pas donner à Nicolas Sarkozy l’occasion d’une nouvelle victoire (fut-elle posthume !) en ne proposant, à quelques aménagements près, que le retour au statu quo ante. Certes, l’Ecole a été terriblement fragilisée, profondément abimée par une politique brutale, mais en panser les plaies ne saurait suffire. Au risque d’engendrer de terribles déceptions et de rater, une nouvelle fois, l’occasion de redonner du sens à une institution qui en a bien besoin.

Cela passe, à mes yeux, par une double ambition : une ambition proprement scolaire, mais aussi une ambition éducative plus globale sans laquelle la première risque de venir s’échouer sur les bancs de sable de notre individualisme social.

Une ambition scolaire d’abord : il faut enfin mettre en place une « école fondamentale » articulant l’école primaire et le collège, avec une vraie continuité pédagogique, des objectifs clairs et structurants permettant un enseignement modularisé, et un accompagnement personnalisé par des équipes d’enseignants cohérentes dans des unités pédagogiques à taille humaine… Il faut, grâce à une évaluation par « unités de valeur », supprimer le redoublement, permettre des choix d’orientation positifs ; il faut valoriser systématiquement les réussites dans une pédagogie coopérative plutôt que de détecter de manière obsessionnelle tous les « dys » du monde afin de les dériver vers des officines spécialisées plus ou moins privées. Il faut mobiliser les enseignants autour d’un projet fort pour notre école et les former correctement afin qu’ils puissent le mener à bien…

Mais nous ne serons pas quittes pour autant. Sans un projet éducatif pour notre société toute entière, la meilleure école du monde n’empêchera pas les professeurs d’avoir le sentiment de devoir vider l’océan avec une petite cuillère. Tant que la machinerie publicitaire continuera à chauffer à blanc nos enfants et promouvra le caprice mondialisé, tant que nous cultiverons le « tout – tout de suite » et détruirons les capacités d’attention comme le plaisir de penser et de rêver, l’école restera un îlot menacé et les professeurs des Don Quichotte plus ou moins ridicules. Au-delà des réformes de l’institution scolaire, c’est le statut de l’enfant dans nos sociétés qu’il nous faut repenser : cœur de cible pour les marchands et client pour les garderies de toutes sortes… ou « petit d’homme » à faire grandir patiemment par l’accès au symbolique dans des espaces apaisés ? Au-delà des interrogations légitimes sur les programmes et les méthodes scolaires, c’est l’aide à la parentalité qu’il faut promouvoir, les médias qu’il faut interroger sur leur devoir d’éducation, les mouvements d’éducation populaire qu’il faut mobiliser, le tissu associatif, culturel et sportif qu’il faut aider à jouer son rôle essentiel dans la mise en place, à côté de la famille et de l’école, de « tiers lieux éducatifs » essentiels pour la construction de l’autonomie et l’accès à la citoyenneté. Plus généralement encore, c’est la politique de la ville et d’aménagement des espaces urbains qu’il faut repenser pour y favoriser les relations entre les générations. C’est la formation tout au long de la vie à qui il faut donner, enfin, un vrai contenu et de réels moyens pour que ce ne soient pas toujours ceux qui ont bénéficié de la formation initiale qui bénéficient de la formation continue.

On le voit, l’enjeu est majeur. Les réformes scolaires sont indispensables. Mais un sursaut éducatif est essentiel. Si notre société ne sait pas faire – enfin ! – de son futur une vraie priorité politique, le pire est à craindre ! En revanche, si elle trouve « le courage d’éduquer », tout devient possible. Et l’espérance peut être au rendez-vous.

 

Philippe Meirieu
Professeur en sciences de l’éducation à l’université LUMIERE-Lyon 2
Vice président de la Région Rhône-Alpes délégué à la formation tout au long de la vie (EELV)
Vient de publier Un pédagogue dans la Cité, conversation avec Luc Cédelle (Editions DDB)