Chères, chers, féministes en mouvements,
Je vous remercie pour votre lettre ouverte et tient dores et déjà à vous rassurer. Si je pense que les droits des femmes ont avancé ces dernières décennies, je suis intimement convaincue que l’égalité n’est en rien acquise entre les femmes et les hommes. Les chiffres, vous les connaissez, je les connais. Ils me révoltent. Oui, les inégalités sont encore criantes et, oui, seule une volonté politique forte pourra les faire disparaître.
En novembre je me suis rendue aux Halles, à Paris, pour soutenir les femmes de chambre de l’hôtel Novotel qui se sont mises en grève pour dénoncer leurs conditions de travail. Elles symbolisent à mes yeux à la fois la précarité, l’invisibilité dans laquelle les femmes sont trop souvent enfermées, et aussi le manque de valorisation du travail des femmes dans notre système patriarcal. En sortant de l’ombre pour exiger le changement, elles prouvent leur existence et leur détermination, elles symbolisent le combat des femmes, un combat jamais achevé.
Je suis l’une des très – trop ! – rares femmes candidates à l’élection présidentielle qui s’annonce. Le sexisme ordinaire que vos associations dénoncent avec justesse, je le vis dans la presse et ses commentaires depuis les quelques mois que je rencontre les Françaises et les Français en vue de cette échéance. Même si je pense qu’un autre candidat que moi, issu de l’écologie politique, défendrait avec la même ardeur l’égalité entre les femmes et les hommes, l’expérience de ces inégalités compte.
Je répondrai à votre courrier de façon très simple. Si je suis élue Présidente de la République, je créerai un Ministère pour l’Egalité entre les femmes et les hommes, j’introduirai une prime salariale pour chaque heure travaillée par un-e employé-e à temps partiel, je créerai 400 000 places en crèches tout en réintroduisant la possibilité de scolariser les enfants dès deux ans. L’augmentation – sensible – du nombre de place d’accueil pour les femmes victimes de violences sera déterminée par un rapport de l’Observatoire national des violences faites aux femmes qui sera mis en place dès 2012. Je lancerai par ailleurs un plan massif d’éducation et de formation afin de lutter contre les stéréotypes de genre, et de favoriser l’émancipation de chacune et de chacun.
Au-delà de ces engagements, et des nombreux autres que vous retrouverez dans mon projet pour gagner la bataille de l’égalité femmes-hommes, je souhaiterais vous livrer ma vision d’une écologie politique fondatrice d’une transformation féministe de la société.
Les écologistes ont toujours été porteurs des révolutions citoyennes en germe.
Et pour porter ce changement et cette vision, c’est donc une approche globale, transversale, compréhensive qu’il faut adopter. Prenant en compte le long terme comme le moyen ou le court terme, l’écologie politique vise à transformer radicalement nos cadres et nos codes. Comme nous le faisons sur l’énergie, l’économie, la biodiversité ou le travail, nous construisons le projet d’une émancipation de chacune et de chacun, sans laquelle la politique d’égalité entre les femmes et les hommes ne sera qu’une addition de mesures dépourvue de projet global.
Depuis le début des combats des femmes et des féministes, les idéologies de droite comme de la gauche classique n’ont pas su répondre au défi fondamental de l’égalité des sexes et des genres.
Le libéralisme n’y a pas répondu car il porte en lui la compétition entre toutes et tous, il promeut une vision conservatrice de la division du travail public et privé, il détruit les droits sociaux qui affaiblissent encore davantage les moins favorisé-e-s, et donc les femmes.
Ca nous le savons et, je crois, nous le partageons.
Le socialisme aussi a échoué. Construit sur l’invisibilisation des inégalités de sexe derrière les inégalités de classe, il a exercé voire renforcé les pratiques de la domination masculine. Le bon travailleur c’est l’ouvrier à plein temps. Ca ne sera jamais l’aide ménager-e qui cumule huit employeuses ou employeurs dans la semaine avec des chèques emploi-service.
Par ailleurs, la réalité concrète des citoyennes et des citoyens dans notre société a changé. Les modèles sur lesquels nos politiques ont été conçues, fiscales, familiales, éducatives, sont fondés sur une très forte division sexuée des rôles et des codes entre les femmes et les hommes. Aujourd’hui la société a évolué plus vite que les politiques publiques. Le modèle familial, par exemple, explose : si la famille reste pour beaucoup de femmes un lieu de servitude, de nouveaux modèles familiaux sont le laboratoire de la réorganisation sociale. Les stéréotypes de genre sont interrogés par les citoyen-ne-s eux-mêmes.
C’est pourquoi j’en appelle à une véritable mutation de la société. A travers la mise en œuvre d’un nouveau contrat social, qui s’appuiera sur la garantie et l’extension des droits conquis des femmes, une lutte déterminée contre les stéréotypes de genre et les codes, la conquête de l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.
C’est ce défi qui doit guider notre réflexion et notre action politique pour ne laisser personne au bord du chemin et parvenir, ensemble, à une véritable égalité des sexes et des genres ancrée dans l’émancipation de toutes et tous.
Je suis ravie de pouvoir poursuivre avec vous cette discussion le 7 mars prochain et vous adresse mes meilleures salutations.
Eva Joly