Monsieur le Président,
J’ai lu avec attention la lettre ouverte que vous avez adressée aux partis politiques et aux Françaises et Français, et qui nous interpelle sur les trois fondamentaux de notre république: liberté, égalité, fraternité. Avant de réagir à vos questions concrètes, sachez que je partage votre inquiétude concernant la mise en œuvre de ces principes, aujourd’hui, en France. Loin de l’idéal républicain, tout en s’en réclamant, certains mouvements politiques utilisent la crise pour stigmatiser ici les chômeurs, là les étrangers. Ce n’est pas ma conception de la France, ce n’est pas ma conception de la République.
Garantir la liberté commence par redonner aux personnes les plus en difficulté les moyens de l’autonomie : un travail et un revenu décent. Mais comment trouver un travail qui vous convient quand l’état se désengage, quand les conseillers de Pôle Emploi doivent suivre près de 200 personnes qui ne sont alors plus que des dossiers, quand on leur demande de contrôler plutôt que d’accompagner, de sanctionner plutôt que de former et d’orienter. Je veux soutenir l’insertion, renforcer le service public de l’emploi et le recentrer sur ses missions d’accompagnement et de formation. Mes objectifs : diviser par deux le nombre de chômeurs et de chômeuses suivi par chaque conseiller ; octroyer à terme à chacune et chacun un crédit formation de 8 années au delà de la scolarité obligatoire, utilisable au long de la vie. Cette réforme de la formation bénéficiera à ceux ayant quitté tôt leurs études.
Parce que le travail n’est pas tout et parce qu’il ne faut pas rejeter les bonnes idées par dogmatisme, je suis favorable à une réduction de la durée du travail. Pas une réduction généralisée, mais dans les entreprises volontaires et avec l’appui de l’Etat. C’est pourquoi je demande l’organisation dès 2012 d’une conférence nationale sur le temps de travail, et la suppression des exonérations sur les heures supplémentaires.
Avoir un emploi n’est pas aujourd’hui synonyme de sécurité. C’est pourquoi je prône la suppression de tous les dispositifs incitant au travail précaire et au temps partiel subi, qui affectent essentiellement les femmes. Ainsi, une entreprise qui emploie un salarié quelques heures par semaine devra majorer chaque heure travaillée d’une prime salariale.
Pour garantir des salaires décents, en plus de négociations tripartites Etat – patronat – syndicats, je souhaite renforcer le poids de salariés en leur accordant 50% des sièges dans les conseils d’administration, à l’image de ce qui se fait en Allemagne.
Parce que je juge une société à la façon dont elle traite les plus démunis, je souhaite augmenter de 50% tous les minimas sociaux, à commencer par l’Allocation pour Adultes Handicapés, et ouvrir le droit à un revenu d’autonomie pour les jeunes en difficulté d’insertion. Le revenu universel sera expérimenté avec l’aide de collectivités territoriales.
Enfin, comme vous le savez, la pauvreté fait son lit non seulement de la baisse des revenus mais aussi de la hausse des dépenses contraintes. Je pense évidemment aux prix de l’immobilier, à ceux de l’énergie ou encore au coût d’une voiture individuelle pour un ménage. Les mesures que je propose, du gel des loyers au développement des transports en commun, en passant par l’isolation des bâtiments et l’instauration d’une tarification progressive de l’énergie, permettent d’économiser l’équivalent de deux mois de salaire aux Françaises et aux Français qui en bénéficieront.
Pour offrir à tous l’égal accès aux droits – éducation, santé, logement, etc. – je défends l’idée d’un bouclier services publics, à développer en priorité dans les territoires délaissés, qu’ils soient ruraux ou de banlieue.
En ce qui concerne la santé, cela commence par la couverture du territoire par des Maisons de santé et de l’autonomie, pour assurer un accès aux soins à toutes et tous, quel que soit sa situation administrative, son âge ou sa résidence. Ces maisons doivent comporter un poste lié à la prévention et à l’éducation pour la santé. Ce point est un des piliers de la révolution sanitaire que les écologistes promeuvent : agir sur les causes des maladies, en limitant l’impact des produits nocifs présents dans notre environnement et en améliorant la qualité de vie de chacune et de chacun. Au-delà ces Maisons, l’égal accès à la santé passe par la suppression des franchises médicales et le réhaussement progressif de la couverture des soins réellement utiles. Ces soins doivent être mieux remboursés par le régime général, et l’accès à des mutuelles doit être amélioré. Il existe déjà des mécanismes d’aides dans certaines régions, souvent sous l’impulsion des élus écologistes, comme par exemple avec le chèque 100 euros pour une mutuelle pour les jeunes franciliens.
Enfin, la multiplication des dispositifs de type AME, CMU, etc. complexifient les démarches administratives et proposent des prises en charge différentes : les bénéficiaires de l’AME ne bénéficient pas des mêmes droits que ceux du régime général ! En outre, ces différents statuts entraînent des refus de soins, comme c’est le cas par exemple pour les bénéficiaires de la CMU. Je suis favorable à la simplification de ces dispositifs, et notamment à leur intégration dans le régime général qui devrait, en toute logique, proposer une couverture universelle.
Sur le logement, je propose avec Europe Ecologie – les Verts la construction de 160 000 logements sociaux par an (dont 30 000 PLAI familiaux). Pour cela, nous proposons notamment de passer la part des logements sociaux dans les communes soumises à la loi SRU à 25%, et à 30% à Paris, avec des sanctions renforcées pour celles qui ne la respectent pas. Mais notre politique du logement va bien plus loin, avec par exemple l’encadrement des loyers, la rénovation des bâtiments ou encore l’interdiction de toute expulsion sans solution de relogement durable.
L’égal accès l’ensemble des droits fondamentaux passe aussi, évidemment, par une lutte accrue contre toutes les discriminations. Je me félicite que la discrimination pour origine sociale commence à être reconnue : c’est désormais à l’Etat de la reconnaître et de la combattre, notamment comme vous le proposez par des campagnes publiques de lutte contre les préjugés.
Que devient le principe de fraternité? C’est une question cruciale que vous posez, en particulier pour les écologistes. Prenons l’exemple de l’école. Elle est aujourd’hui plus centrée sur la sélection et l’orientation que sur la coopération et l’innovation pédagogique. Nous devons rouvrir l’école sur la cité, sur le bien être des enfants, et aux parents qui considèrent trop souvent que ce n’est pas un lieu « pour eux ». Cela passe évidemment par le renouveau de la formation des enseignants, abandonnée sous Nicolas Sarkozy. Et par des mesures innovantes, comme ces « espaces parents » que vous suggérez.
Pour assurer un véritable droit à l’apprentissage, à l’éducation il faut que personne ne soit exclu du système éducatif. Cela passe par une orientation positive, l’arrêt des redoublements grâce à la capitalisation d’unités de valeurs, une refonte de l’enseignement primaire et de collège, un apprentissage effectif de la coopération, des évaluations collectives plutôt qu’individuelles…
Au deçà il est important de protéger les enfants de la publicité auquel ils sont continument exposés pour créer de véritable lieux éducatifs reposants et apaisés dans lesquels le but n’est pas de battre les autres mais de développer des compétences communes. Évidemment cela se fonde aussi sur une refonte de la carte scolaire qui permette une véritable mixité sociale dans les établissements. Je me suis engagée, dans mon projet, à reconstruire la carte scolaire suivant le principe de la mixité sociale maximale : elle associera dans une même zone urbaine des quartiers centraux et périphériques.
Monsieur le Président, je vous remercie pour votre initiative, et vous adresse mes salutations sincères.
Eva Joly