Réponse d’Eva Joly à l’adresse de l’Observatoire de la Liberté de Création

Observatoire de la liberté de création

Madame la déléguée,

Vous m’interrogez au nom de l’Observatoire de la liberté de création sur les intentions d’Europe Ecologie Les Verts en matière d’éventuel encadrement de la liberté de circulation des œuvres.
Cette question a d’autant plus d’acuité que les exemples de tentatives de censure, ou de réelle censure ne cessent de faire irruption dans les domaines les plus variés: affiches de cinéma, spectacle vivant victime de manifestations, déprogrammation d’expositions, contestation d’œuvres plastiques.
La censure tourne le dos à la démocratie en ce qu’elle réfute le droit au pas de côté, à l’approche originale voire dérangeante, à l’autre regard que celui du prêt à penser.

Je tiens au passage à rappeler que notre conception de la liberté et de l’autonomie de l’artiste, à laquelle nous tenons, est antinomique de l’élu programmateur, ou de la sanction des équipes pour suite d’alternance. C’est au pouvoir de garantir des espaces d’expression de l’art, en se gardant bien d’y projeter l’idéologie du moment. Reste la défense de l’intérêt général, et la juste appréciation de ce qui protège, ou pas, l’enfance par exemple.

Je suis très sensible à la qualité de la démarche que vous suggérez: le débat, la rencontre, la prise de connaissance de l’intégralité, ainsi que du champ des interprétations multiples, l’ouverture d’espaces critiques. Ces chemins à eux seuls forgent du lien, de l’épanouissement et de l’émancipation. Ils sont d’autant plus nécessaires que si l’œuvre permet la distanciation, elle tire une part de sa lisibilité, de sa vraisemblance ou de son inscription dans les codes sociaux de son époque

Vous me demandez des engagements plus précis qui déclinent ces principes :

– L’abrogation de l’article 14 de la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse est une position ancienne des écologistes et nous la maintenons. Cet article a en effet été le prétexte à la mise au pas des publications jeunesse et à l’interdiction (réelle ou de fait, en instaurant des conditions d’édition impossibles à tenir) de publications politiques ou satyriques. Les images furent plus souvent frappées que les écrits, la bande dessinée en paya un lourd tribu. Les œuvres étrangères furent plus souvent attaquées que les œuvres éditées en France… Il existe d’autres dispositifs législatifs visant à protéger la jeunesse, contre l’incitation à la haine raciale, au viol, le révisionnisme, l’homophobie, en encadrant la pornographie. Nul besoin de cet article qui n’est qu’un prétexte.

– Sur l’exclusion des œuvres du champ de l’article 24 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse et des articles 227-23 et 227-24 du code pénal, je vous propose d’en reparler lors de la rencontre prévue le 21 mars afin que nous puissions nous baser sur des argumentaires partagés et trouver le meilleur moyen de protéger la liberté et l’autonomie des artistes sans laisser la porte ouverte aux discours illégaux sans visée artistique. Une difficulté résidant en la définition de l’œuvre d’art.

– A propos du cinéma, j’approuve le projet d’une place accrue des professionnels dans la commission de classification, tout comme je juge obsolète le seuil de 18 ans au lieu de 15 ans pour l’interdiction aux mineurs. Si je considère que le respect de la dignité humaine n’est pas un vain débat, je pense qu’il relève vraiment du débat démocratique, et non de démarches moralisatrices portées par le pouvoir aboutissant à l’usage d’une ordonnance pouvant permettre toutes les instrumentalisations arbitraires.

– En matière d’autorisation de diffusion radio-télévisée, le rôle du CSA est bien de faire respecter la loi et il n’est pas souhaitable qu’il aille au-delà. La protection du jeune public ne doit pas se traduire par une interdiction pure et simple de programme, mais par un affichage et une heure de diffusion ad-hoc.

En espérant avoir répondu à vos interrogations, je vous prie d’agréer mes sincères salutations.

Eva Joly