Monsieur le directeur,
Tout d’abord je vous remercie de votre interpellation collective sur la question des déchets, élément essentiel de la transition écologique.
Une politique écologiste des déchets vise évidemment une réduction du volume global de déchets par une action renforcée en amont, dès la conception des produits, s’oppose à la logique de « l’obsolescence programmée » ou des gaspillages de matière qui pèsent très lourd sur nos sociétés (matériaux, énergie, dépenses des ménages, déchets…).
Je considère par ailleurs que l’un des enjeux majeurs est la mise en place, dès le système de collecte de filières dédiées afin de faciliter le recyclage mais aussi des valorisations organique et énergétique spécifiques performantes (bio-gaz et CSR). Prévention, ré-emploi, réparation, recyclage, valorisation doivent nous permettre de sortir progressivement de l’incinération et du stockage des OMB.
Les différents éléments de cette stratégie (objectifs, délais, outils etc) seront intégrés à la loi qui concernera aussi les DAE et déchets du BTP. Il me semble en effet qu’une loi globale permettant de fixer des objectifs, de mettre en place les principaux dispositifs et modifications réglementaires est nécessaire puisque nous n’oublions pas que les objectifs ne sont efficaces qu’assortis des mesures ad-hoc. En effet, l’objectif de 50% de recyclage et valorisation organique était déjà dans la circulaire Voynet de 1998…
Nous proposons comme vous de lutter contre l’obsolescence programmée, notamment, en allongeant les durées légales de garantie (7 à 10 ans pour les produits de consommation durable), en encourageant les industriels maintenant la disponibilité des pièces détachées, condition impérative au re-développement du secteur de la réparation.
Pour l’affichage de la durée de vie, notion aléatoire suivant les modes d’utilisation des produits, des tests avec protocole commun réalisés par un organisme public indépendant seront nécessaires.Ils donneront droit ainsi à un Label incontestable.
L’éco-conception est bien entendu au cœur de l’enjeu et doit intégrer la recyclabilité (éviter les matériaux composites; éviter les collages ou rivetages entre matériaux différents, etc). Eco-conception et recherche de l’utilité sociale devront être intégrées dans les cursus de formation des designers et des ingénieurs. La question de la certification amont est intéressante mais en veillant à ne pas mettre en place un système trop lourd et coûteux pour des petites entreprises innovantes (syndrome purin d’ortie et autres).
Une taxe spécifique qui pourrait être indexée sur le rapport de volume entre l’objet et l’emballage et concerner à 100% les emballages de présentation sans fonction de protection ou de rangement durable peut être étudiée dans le cadre plus large d’une révision de la fiscalité.
Enfin, nous partageons avec vous l’impératif que chaque acteur contribue réellement et à la hauteur de ses responsabilités à la gestion des déchets, y compris leur évitement. La charge pèse hélas encore aujourd’hui essentiellement sur les collectivités et les ménages. Nous proposons que les filières de REP deviennent toutes « opérationnelles » et non seulement contributives financièrement comme aujourd’hui (en révisant leur gouvernance…).Dans ce cadre, elles devront assumer la totalité des frais de collecte et recyclage.
La valorisation matière ou énergétique des déchets fermentescibles est un enjeu central. Sans en méconnaître les difficultés, et en fonction bien sûr des territoires il me paraît absolument nécessaire d’organiser des collectes sélectives et/ou l’accès au compostage individuel ou collectif. Nous devons développer, à partir de ces collectes une phase de méthanisation tout en garantissant un compost final de grande qualité agronomique répondant aux normes bio.
Les élu-e-s écologistes sont très actifs sur les territoires, qu’ils soient en charge de l’environnement, de l’économie sociale et solidaire voire de la culture, pour promouvoir toutes les initiatives et filières pertinentes (réparation, ré-emploi, recyclage, collecte…) . Les ressourceries ont par exemple un rôle à jouer, tant du point de vue social qu’environnemental.
Plus globalement, en ce domaine comme dans d’autres, j’ai acquis la conviction qu’une réforme en profondeur et l’atteinte de nos objectifs passera aussi par une forte mobilisation territoriale. Les systèmes de collecte sélective poussée, de consigne, de tarification incitative, de stratégies adaptées aux DAE ou déchets du BTP etc ne seront opérationnels qu’avec une forte dynamique locale complémentaire à la voie légale et fiscale. Nous devons aller vers une véritable « citoyenneté du déchet » cadrée par des plans départementaux opposables et développée localement par des métiers de conseils sur des contrats durables.
Concernant la fiscalité, elle doit évidemment servir l’intérêt général et être pensée comme un outil puissant au service d’une stratégie globale de gestion des déchets. La question d’assujettir les installations déchets à la CCE ou d’instaurer des modulations de la TGAP (bonus malus) ou encore son affectation méritent des discussions approfondies entre acteurs et des analyses d’impact pluralistes. nous sommes pour une pénalisation fiscale de l’incinération ou de l’enfouisement d’OMB et qui soit dégressive en fonction de la qualité des tris en tête de collecte. Nous sommes également pour pénaliser fiscalement la chaleur issue de l’incinération ou de bio-gaz provenant de l’enfouissement en mélange afin que soit favorisé le bio-gaz issu de bio-déchets en collecte séparée et les chaufferies utilisant des CSR
En matière de gouvernance et transparence, il paraît effectivement indispensable de mieux connaître et renforcer le contrôle sur le secteur. Dans certaines régions, l’articulation entre collecte et traitement pose également quelques problèmes quand les objectifs ne sont pas partagés par des syndicats différents.
Un observatoire national peut être utile avec pourquoi pas le développement d’observatoires régionaux mis en réseau, mais la question d’un système de contrôle et régulation est aussi posée.
Concernant les éco-organismes, il est impératif de les réformer, non seulement pour garantir leur indépendance mais aussi de les rendre « opérationnels », avec obligation d’équilibre des budgets. Chaque acteur doit contribuer réellement et à la hauteur de ses responsabilités à la gestion des déchets, y compris leur évitement. La charge pèse hélas encore aujourd’hui essentiellement sur les collectivités et les ménages.
Concernant les modes de gestion et leur gouvernance, je suis évidemment favorable à une gestion publique, encadrée et transparente mais plus largement à tout système permettant aux collectivités de maîtriser chaque étape (collecte,transport, tri, traitement) par d’éventuels contrats séparés et de courte durée . Il faut sortir des contrats de DSP longue durée. car nous avons pu observer dans d’autres secteurs que le caractère public des opérateurs n’est pas une garantie en soi. Le renforcement des contrôles des installations comme plus généralement une véritable « police de l’environnement » sont bien entendu nécessaires.Nous pouvons très rapidement rendre obligatoire l’analyse « en continu » des fumées d’incinérateur et assurer un budget « communication » aux CLIS afin d’assurer la diffusion des infformations fournies par les exploitants. Pour une grande part, l’ESS ( scop, scic) est souvent capable de concurrencer positivement les entreprise privées
Une commission d’enquête parlementaire n’est pas du ressort de la présidence de la république, mais la cour des comptes peut être mandatée et les parlementaires seront évidemment libres de leurs travaux.
Le mot « unité de valorisation énergétique » induit effectivement une confusion entre incinération et méthodes alternatives comme la méthanisation.
Concernant le suivi sanitaire des populations, c’est une carence générale du système français. Registre des cancers (intégrant des informations professionnelles), enquêtes épidémiologiques sont un enjeu majeur de la politique de santé environnementale que nous prônons : savoir pour pouvoir prévenir !
Il m’apparaît de toute façon indispensable d’associer les acteurs de terrain et les réseaux experts comme votre association dans l’élaboration des politiques publiques, et ce quel que soit le secteur. Concevoir des politiques publiques sans le faire avec les acteurs concernés est de toute façon une garantie d’échec et je crois que le centralisme français explique une grande partie des difficultés de notre pays, en matière de déchets comme pour le reste.
Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l’expression de mes salutations sincères.
Eva Joly