Les écologistes m’ont choisie comme candidate à la présidence de la République. Les Français ont le droit de savoir qui je suis, d’où je viens, ce que je crois : c’est l’objet de ce livre.
Je suis née en Norvège et, à vingt ans, je suis devenue française. Cela me donne un regard particulier sur notre pays : on aime toujours plus fort ce que l’on a choisi.
J’ai eu la chance de connaître plusieurs vies. J’ai été secrétaire dans un pool de dactylo et haut fonctionnaire au ministère des Finances. J’ai connu la justice des citoyens ordinaires et enquêté sur la corruption des dirigeants. J’ai beaucoup voyagé et je sillonne désormais les villes et les villages français.
Comme tout un chacun, j’ai fait des erreurs et j’ai traversé des épreuves. Mais au long de ces années, ma boussole a toujours été la même : ne pas tricher, ni avec moi-même, ni avec les autres. C’est pour cela que je choque parfois. Je refuse les codes et le mensonge ordinaire.
La France a beaucoup changé, plus profondément que ne le disent les hommes politiques. C’est cette France-là dont je porte aujourd’hui la voix.
La trahison de « ceux qui savent »
J’ai longtemps cru – pour de bon – que la richesse et la culture allaient ensemble ; que ceux qui « avaient » étaient les mêmes que ceux qui « savaient ». J’ai pensé ainsi jusqu’au jour, assez tardif, où j’ai commencé à comprendre que l’ordre des choses n’était pas forcément celui-là. Les possédants ne sont pas toujours les meilleurs, loin s’en faut. Ils sont le plus souvent égoïstes ; ils se désintéressent du monde. Cette prise de conscience a culminé avec mon instruction de l’affaire Elf. Ce fut violent. J’étais sidérée de découvrir à quel point j’avais été naïve. Et docile… Au moment de l’affaire Elf, quand j’ai pu apercevoir le dessous des cartes des multinationales, je suis tombée de haut. […] Ma vision du monde a commencé à changer. J’ai acquis la conviction que les décisions politiques n’étaient pas prises dans l’intérêt collectif. J’ai décidé qu’il fallait tout faire pour corriger ce désordre, arrêter cette immense tromperie, même si, comme chacun, je savais que cela prendrait du temps : le monde est un énorme paquebot dont on ne peut pas modifier le cap du jour au lendemain. En tout cas, l’indignation qui m’a saisie a décuplé mon énergie. Voilà d’où vient ce que mes ennemis appellent ma « dureté ».
Mon arrivée en France
J’avais vingt ans quand je suis arrivée en France. L’occasion s’était présentée de perfectionner mon français en partant un an comme jeune fille au pair. J’ai saisi ma chance. Quel bonheur ! Aujourd’hui, la Norvège est un pays riche, grâce au boom du pétrole en mer du Nord, et les gens sont connectés au reste du monde. Mais dans les années 1960, entre la Norvège et la France, c’était le jour et la nuit. Par rapport au Paris enchanteur que je découvrais, mon pays natal m’apparaissait pauvre et rugueux, étroit d’esprit. Je revois encore les marchés remplis de fruits, de légumes et de fleurs, les cafés, les boutiques et les vitrines éblouissantes, les rues pavées d’histoire, la culture, la séduction et l’humour des Français que je croisais, les cinémas et les librairies à chaque coin de rue. Les Québecois emploient l’expression « tomber en amour ». Je suis littéralement tombée en amour avec ce pays. Je suis d’ascendance viking sur vingt générations au moins. Mais une partie de moi, de mes rêves, mes aspirations à « la vie bonne » dont parlait Montaigne, cette partie-là a immédiatement résonné avec la France, a fait corps avec elle.
Au coeur de l’État
Pendant l’affaire Elf, j’ai découvert à mon insu la puissance des apparences et l’efficacité de la rumeur, le plus vieux média du monde. Pour être cru, le mensonge le plus éhonté utilise un élément frappant, qu’il interprète de manière délirante. Ma double nationalité (élément atypique et authentique) devenait le point de départ d’une rumeur selon laquelle j’appartenais à la CIA, tête de pont d’une offensive des pétroliers étrangers contre les intérêts français ! […] Presque tout le dossier de presse de ces années d’emballement médiatique est une saga où le vrai et le faux, le délirant et l’authentique ont fini par créer une fiction ayant l’apparence de la vérité. J’ai pris l’habitude de vivre dans deux réalités – la vérité judiciaire et la vérité médiatique – qui ne se rejoignent que trop rarement. Entrée en politique, je n’ai pas été dépaysée par ce double registre, intrinsèque à la vie politique, où les confidentiels des hebdos, les échos du Canard enchaîné, le buzz politique nourrissent une bulle artificielle. Des « snipers verbaux », dans l’ombre, agissent pour leurs chefs en racontant tout et n’importe quoi. Parfois, ce sont les acteurs de la vie politique eux-mêmes qui, « en off », recréent la réalité qui leur déplaît.
Retour en Norvège
En pleine interrogation sur mon avenir, j’ai été invitée à donner une conférence devant les ambassadeurs de l’OCDE. L’ambassadeur de Norvège m’a sollicitée : « Je pense, m’a-t-il dit, que tes idées trouveront un écho chez le ministre de la Justice et le ministre des Affaires étrangères. Ce sont des gens biens. » À l’époque, le gouvernement norvégien était de centre-droit. L’ambassadeur a ajouté : « Les sujets que tu évoques passionnent nos ministres. Est-ce que ça t’intéresserait de venir aider le gouvernement à lutter contre la corruption et le blanchiment international ? » J’ai aussitôt accepté, alors même que je n’avais jamais imaginé revenir un jour en Norvège. Cela faisait 37 ans que je vivais en France avec mes enfants. Je me sentais – et je me sens toujours – française à part entière.
Trop française pour la Norvège
En juillet 2011, lorsque j’ai proposé la suppression du défilé du 14 juillet sous sa forme actuelle, uniquement militaire, le Premier ministre François Fillon a immédiatement répondu avec une élégance dont chacun se souvient. « Je réagis avec tristesse, a-t-il déclaré. Je pense que cette dame n’a pas une culture très ancienne des traditions françaises, des valeurs françaises, de l’histoire française. » À sa façon, il insinuait que je n’étais pas « vraiment » française, en laissant entendre que c’était embarrassant, voire rédhibitoire pour une candidate à la fonction présidentielle. Cette remarque condescendante a été, hélas, plus ou moins validée par une bonne partie des médias. Française depuis près d’un demi-siècle, j’ai trouvé indigne qu’un Premier ministre introduise un distinguo entre plusieurs catégories de Français. Mais, dans le même temps, la remarque m’amusait. Je me disais intérieurement : s’il savait ! Je pensais à ces innombrables réflexions que l’on me fait désormais chaque fois que je retourne en Norvège. Dans mon pays natal, la presse me reproche… d’être « trop française » ! Et pas seulement à cause de ce prétendu accent français qui apparaît maintenant quand je parle norvégien. Je crois surtout que mon rapport personnel à la société norvégienne est devenu plus ambivalent que je ne l’imaginais moi-même en retournant travailler pour le gouvernement norvégien. Je suis séduite par leur sens collectif, et mon attachement à sa nature sublime demeure. Dans le même temps, j’éprouve à Oslo une sensation d’étouffement. Je suis devenue trop française pour la Norvège.
La cohésion sociale se délite
Les nantis défendent le plus souvent un modèle économique néolibéral, spéculatif et financiarisé qui ne se préoccupe ni d’éthique, ni parfois même de légalité. La volonté obsessionnelle de privatiser, puis de marchandiser ces biens que l’on considérait autrefois comme des richesses communes à la disposition de tous comme l’air, l’eau ou les espaces naturels, est antiécologiste par principe. Et je ne parle même pas du productivisme à tous crins dont les tenants du néolibéralisme se font les avocats, surtout en agriculture. La première conséquence de tout cela, c’est la quasi-disparition du concept de bien commun, et même de monde commun. Dans des sociétés fracturées, déstructurées et profondément inégalitaires, la cohésion sociale se délite. Or, elle est absolument nécessaire pour amorcer le grand virage écologique qui s’impose et refonder de façon démocratique notre modèle de développement. Elle en est la condition même. Certains s’imaginent que l’écologie s’arrête à la défense de la biodiversité, à la surveillance des glaciers ou à la sauvegarde de la faune marine. Ce sont des objectifs importants, mais croire que l’écologie pourrait être apolitique ou transpolitique est une naïveté. Le concept d’écologie politique que nous défendons consiste à remettre l’écologie au centre, puis, à partir de ce centre, à apporter des réponses aux questions de société, qui sont le plus souvent des questions politiques.
Mon entrée en politique
En novembre 2007, je sortais d’une conférence à Paris, et je devais donner une conférence à l’ONU. Le timing était très serré et j’écrivais mon discours dans l’avion. J’ai eu soudain le sentiment que toutes ces paroles étaient utiles mais vaines. Certes, mon discours allait sans doute plaire et, même, choquer au bon sens du terme. Il n’empêche qu’au bout du compte, on allait me dire qu’il n’était pas possible de faire quelque chose, sauf à changer le monde ! Un ami m’accompagnait dans l’avion. Je partageais avec lui cet accès de découragement. Il m’a demandé brusquement : « As-tu déjà pensé à faire de la politique ? » Je n’y avais jamais songé, parce que c’était en dehors de ma compétence. Dans mon esprit, ceux qui font de la politique sont dans le bain depuis toujours, ils ont fait partie des Jeunes Populaires ou des Jeunes Socialistes… Mais, peu à peu, l’idée s’est imposée à moi que je devais peut-être passer du rôle de conseil à celui d’acteur opérationnel ; celui qui – via les lois, les textes – prend part au devenir du monde. […] C’est à ce moment-là que Dany Cohn-Bendit m’a téléphoné. Il venait de fonder Europe Écologie, pour lancer une dynamique politique écologique au-delà du pré carré traditionnel des Verts. Je me souviens de notre premier rendez-vous. Dany m’a dit : « Nous allons créer un grand parti démocratique pour la transparence, contre les paradis fiscaux, tes combats sont les nôtres, tu as ta place parmi nous. » J’étais enthousiasmée par son projet, sa chaleur humaine, son énergie. Nous sommes littéralement tombés dans les bras l’un de l’autre. Il est arrivé dans ma vie comme un frère choisi.
J’ai vu Fukushima
J’ai quelques bonnes raisons d’être optimiste sur la sortie du nucléaire. Au cours des dix dernières années en France, la culture antinucléaire a fait d’énormes progrès. La réflexion s’est approfondie et les données scientifiques sont mieux diffusées. Du coup les slogans insensés et les mensonges que martèlent le lobby nucléaire et les décideurs qu’il manipule sont plus vite décryptés qu’auparavant. Je dirais que ces mensonges sont devenus solubles dans la démocratie. Les médias ne sont pas tous aussi dupes qu’autrefois. Les nouveaux outils de communication (Internet, les réseaux sociaux, les blogs spécialisés) permettent de déconstruire en quelques heures les énormités qui, hier encore, étaient assenées impunément. Je pense aux éclats de rire qui, en novembre 2011, ont salué les affirmations tonitruantes de Nicolas Sarkozy ou Jean-François Copé destinées à ridiculiser les antinucléaires. Les déclarations mensongères sur le coût réel de l’électricité nucléaire, les communications grotesques, comme celle du patron d’EDF, Henri Proglio, sur les emplois qui seraient menacés par l’abandon de la filière, tout cela a été immédiatement relevé et démenti par les médias. Pour la première fois depuis un demi-siècle, en France comme en Allemagne, le lobby nucléaire commence à perdre la main. De toutes mes forces, je le combattrai. Parce que j’ai vu Fukushima. Je ne veux pas que mes petits-enfants grandissent avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Ce qui s’est produit à Tokyo peut demain toucher Paris ou Lyon.
Remettre le monde à l’endroit
J’avais vingt-quatre ans en 1968. Si je ne devais retenir qu’un seul des superbes slogans de cette période, je choisirais celui-ci : Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi ! Ma candidature à l’élection présidentielle est le trait d’union entre l’allant des années de croissance, les combats contre l’injustice des années de folie financière et l’énergie des années 2010, en pleine recomposition des forces du monde. La Déclaration des 99%, promue par les jeunes occupants de Wall Street, a renforcé ma conviction quant à la légitimité et la nécessité du mouvement écologiste dans la mesure où elle associe réformes civiques, réformes financières, rejet de la guerre du profit, préservation de la planète, prise en compte des générations futures et circulation de l’information. Notre projet et l’aspiration de la jeunesse du monde entier se rejoignent. Dans cette course à l’imagination, à la créativité et au partage, nous ouvrons un chemin vers l’avenir. Tenir bon, inventer et agir. C’est la seule voie qui vaille, j’en suis certaine.
La France coule dans mes veines
La France a d’abord été pour moi un rêve. Et au fond de moi ce rêve est toujours vivant : quoi qu’il arrive, je resterai cette jeune femme éblouie de marcher là où Voltaire et Rousseau ont marché, d’écouter la langue d’Apollinaire et de René Char, de savourer la lumière d’Anjou et les ciels de Bréhat, de refaire le monde dans une brasserie de Montparnasse. La vie ne ressemble pas à un arbre généalogique. Chaque mère apprend cela dès qu’elle tient un nouveau-né dans ses bras. Aussitôt, elle se sent liée à jamais avec lui. Plus que les ancêtres, nos enfants sont nos vraies racines et notre point d’attache. Mes enfants sont nés en France et la question de leur nationalité ou de leur culture ne s’est pas posée. Les fjords sont simplement pour eux des souvenirs de vacances, associés à la douceur de leurs grands-parents. Lorsque Marine Le Pen me traite de francophobe et quand la droite dure me décrit comme un cheval de Troie de la nation française, c’est qu’ils n’ont rien compris. Une mère donne tout à ses enfants et rêve du meilleur pour eux. Mes enfants et mes petits-enfants sont mes racines françaises.
Je pense parfois à cette phrase de l’écrivain Romain Gary : Je n’ai pas une goutte de sang français, mais la France coule dans mes veines.